Est-ce que cela vous arrive, parfois, quand vous êtes sans votre enfant, de penser que vous l’avez rêvé ? Que c’est tellement gros, cette histoire, que ce n’est pas possible que cela vous arrive ? C’est quand même fou. Réaliser qu’on est une mère. Réaliser qu’on a un enfant. Notre vie a changé, mais finalement on reste la même. Cet enfant est là, parfois comme s’il avait toujours été là, mais parfois aussi son cri le matin nous parvient comme une surprise : ah oui, c’est vrai, il y a des mois maintenant j’ai accouché de ce gnome et il va falloir maintenant que je m’en occupe, ce matin et pour toute la vie.
L’autre soir, la baby-sitter gardait Poupette et je suis sortie. Seule, dans la rue, à la tombée de la nuit, l’infinité des possibles s’ouvrait à moi : je pouvais aller là où l’on m’attendait, mais aussi là où bon me semblait. Comme si, ce soir-là, je n’avais plus aucune attache. Une sensation infinie de liberté. Et ces quelques jours loin d’elle, dans la ville de mes premières sorties, de mes premières virées, où l’insouciance a pris le pas, où finalement c’était comme si je l’avais rêvée, pour de vrai.
Quand je ne suis pas avec elle, qui peut croire que je suis Maman ? Je ne l’affiche pas, et on m’appelle Mademoiselle. Maman quand je suis avec elle. Mademoiselle sans elle. Ne pas le dire, faire comme si la vie d’avant était encore là. Sortir, m’amuser. Et quand le mot vient, le mot Maman, ou la phrase « j’ai un enfant », tout change. Pour ceux qui n’en ont pas, je suis de l’autre côté, parfois même un boulet. Parfois je ressens même le besoin de me justifier : oh mais je n’ai pas changé, je sais encore m’amuser. Pour ceux qui en ont, je fais partie de leur camp. On peut partager des choses.
Il n’y a pas si longtemps, moi-même j’ai été la baby-sitter. Je comptais mes heures, et tout ce que j’allais pouvoir m’offrir avec mes quelques deniers pas si durement gagnés. Aujourd’hui, je suis celle qu’on appelle Madame et qui lâche les sous à la fin de la soirée. Je suis passée de l’autre côté, en l’espace d’un claquement de doigts j’ai basculé.
Il n’y a pas si longtemps, je regardais les gens qui avaient des enfants. Je me demandais quelle mère je serais, le jour où j’en aurais. Je me disais que je choisirais tel prénom. Je me disais que je ne ferais pas comme ça. Aujourd’hui, j’ai parfois l’impression que je suis toujours dans le même état de rêve, comme si Poupette n’était pas vraiment là et que je fantasmais l’éducation à lui donner. Comme si je pouvais changer son prénom au gré de mes envies et de mes rencontres. Comme si je pouvais refaire, comme un château de sable après la marée.
Souvent, quand je prends conscience de la situation, j’ai l’impression qu’il s’agit d’une autre. Suis-je assez grande pour aller chercher cette enfant à la crèche ? Les personnes qui s’adressent à moi pensent-elles vraiment que je suis sa mère ? Va-t-on me prendre au sérieux ? Ces questions que certaines très jeunes femmes qui ont des enfants pourraient, j’imagine, se poser, je me les pose aussi. Pourtant j’ai l’âge « normal », 28 ans, très (trop) bientôt 29, et je ne pense pas que, de l’extérieur, je passe pour la baby-sitter. Et pourtant, la légitimité me fait défaut.
Le côté définitif aussi m’obsède et me questionne : se dire que pour toujours et à jamais, ce sera comme ça. Je suis mère de cette enfant et pas d’un autre, elle portera pour la vie ce prénom, et aura ce visage, et je serai sa mère. Maman. Pour toujours. Le retour à ma vie d’avant ne sera qu’illusoire. Et il me faudra, je pense, quelques temps avant de réaliser pleinement que cette petite Poupette est ma fille, que je l’ai mise au monde, que j’en suis responsable et que je l’aimerai chaque jour un peu plus.
Et finalement, ma Maman qui m’a dit un jour :
Tu sais, moi encore aujourd’hui cela m’arrive encore de ne pas tout à fait réaliser que vous êtes là.
Et vous, vous l’avez réalisé ? Ou vous arrive-t-il parfois, comme à moi, de penser que tout ça n’est qu’un rêve, qu’on est encore une jeune femme avec l’univers des possibles devant nous ?
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