J’ai commencé à écrire cette lettre il y a quelques mois maintenant. Le ras-le-bol, la désillusion. Je l’ai écrite sur un coup de tête, ne sachant pas qui pourrait bien vouloir la lire, certainement pas le principal intéressé. Mais voilà, je suis une citoyenne et j’ai donc une voix. Et qui voudra bien prêter l’oreille l’entendra. L’espace de ce blog a été créé certes pour parler fraisier et poussettes, mais également pour faire entendre ma voix sur des sujets qui me tiennent à cœur. Et ce qui se passe en ce moment dans mon pays me tient à cœur. Je ferai donc, pour l’occasion, une pause dans les recettes de cuisines et les débats sur le lait de croissance, et je pose ici, en espérant qu’il la lira, une lettre pour mon président.
Lettre à mon président,
C’est trop. Ce soir, je bois du vin rouge, je discute avec des amis, je parle de tout, de rien, de notre groupe d’amis qui se déchire, de nos envies professionnelles, de nos satisfactions, et du monde qui nous entoure. Ce soir, je ne suis pas à Paris, je ne suis pas en terrasse ; je suis à Bordeaux, chez moi, et dans mon verre de vin rouge je peux dire ma déception.
15 mai 2012, je m’en souviens encore. J’ai 25 ans. J’ai voté, pour la seconde fois de ma vie, à une élection présidentielle. J’ai voté Parti Socialiste. C’est vrai qu’aux primaires, j’avais voté pour Martine Aubry. Une femme, de gauche, avec un discours droit, une parole qui me semblait saine. Mais bon, vous aviez gagné ces élections primaires et je l’acceptais. J’étais heureuse d’avoir voté, dès le premier tour, pour le parti socialiste. Je n’avais jamais eu la carte du parti – d’aucun parti d’ailleurs – mais je ne voulais pas reproduire ce qu’il s’était passé en 2002. A l’époque, je ne pouvais pas encore voter, mais j’avais manifesté et pesté contre ces gens qui avaient voté pour de « petits partis », laissant ainsi l’extrême droite atteindre les demi-finales. Je n’allais pas reproduire la même erreur. Oui, dès le premier tour, contrairement à la majorité de mes amis qui avaient voté extrême gauche au premier tour et socialistes au deuxième, souvent par dépit, je vous avais accordé ma confiance.
15 mai 2012. J’ai organisé une soirée. Je l’ai appelée le pot de départ de Nicolas Sarkozy. Ça tombait bien, Nicolas Sarkozy était vaincu, et j’ai bu de bonheur jusqu’à l’ivresse. Jamais, de ce que je me souvenais, la gauche n’avait été à la tête du pouvoir (oui j’avais huit ans quand Jacques Chirac a été élu, excusez moi de ne pas me souvenir du monde politique avant cette date). Le monde était en passe de changer. Les inégalités allaient, enfin, commencer à se réduire. Le monde politique, vous le promettiez, allait être plus sain. La finance allait être destituée de son piédestal. Ce jour-là a marqué un tournant dans ma vie.
Votre première année en tant que président n’a pas été facile. Le monde commençait déjà à vous accabler et je leur disais, « laissez lui le temps ». Il n’est pas simple de retourner un pays, de défaire ce qui a été fait depuis des années par une droite trop libérale. Laissez lui le temps.
Un scandale, un autre. Une désillusion, puis une autre. Deux pas en avant, trois pas en arrière. Toujours la même histoire, quel qu’en soit le sujet. Vous voulez le beurre, l’argent du beurre, et les fesses bien fermes et alléchantes de la fermière. Vous voulez que les consommateurs soient informés de la traçabilité des produits utilisés dans les restaurants mais surtout pas atteindre les restaurateurs. Vous voulez encadrer les loyers mais ne pas écorcher les propriétaires. Vous voulez la confiance du peuple mais lui tirez une balle dans le pied.
Je ne suis pas une grande connaisseuse de la politique. J’écoute la radio, je regarde la télé, je lis les articles qui défilent sur mes réseaux sociaux, j’essaie d’analyser, de mettre en perspective. Je me rends compte que toutes vos promesses s’estompent les unes après les autres. On donne aux patrons, on cumule les mandats.
Je me fiche de votre vie privée, je m’en amuse même. Je crois que je suis comme une majorité de français, je l’espère du moins. Je crois à la démocratie dans le sens où je donne ma voix à quelqu’un pour qu’il me représente. Et je vous ai donné ma confiance.
Je la reprends aujourd’hui.
Voyez-vous, cher président de feu notre république, je ne me serais même pas attendue de vos agissements d’un gouvernement de droite. Je me serais offusquée de tels agissements de la part d’un gouvernement de droite. Et je suis tellement estomaquée que cela vienne de vous, en qui j’avais mis toute ma confiance, et pour qui j’avais bu tellement lors de votre victoire, que je me sens destituée de toutes mes forces. Peu de personnes, aujourd’hui, sont dans la rue. De rares voix tentent de se faire entendre, mais qui les suit ?
Cher président, aujourd’hui j’ai 28 ans, 29 dans quelques jours. J’aurai 30 ans au moment des nouvelles élections. Et je ne voterai pas. Ni pour vous, ni pour personne. J’irai mettre un bulletin d’une blancheur immaculée dans l’enveloppe qui portera ma voix. Personne ne peut plus me représenter. Je crois que personne ne m’a plus déçue que vous, dans toute ma – encore courte – vie.
Alors, je vais porter ce verre à ma bouche, en tentant de retrouver cette ivresse que j’ai, je pense, perdue à jamais.
Marine
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